17mar. 2021

LES COLLEUSES

J'ai ouvert les volets à 7h, hier matin. Elles étaient 4 femmes en train de coller. Il y avait du vent et il faisait froid. Mes volets ont fait du bruit, elles se sont retournées. Mon coeur s'est serré, j'ai voulu leur dire bonjour mais les mots sont restés coincés au fond de moi. Alors, j'ai secoué ma main pour les saluer. Elles n'ont pas répondu.
À 16h, j'ai entendu mon fils et ses ami-es rentrer du collège. Ils étaient 4 garcons et 2 filles en train de discuter devant le collage :
- T'as vu, c'est quoi ?
- C'est Les Colleuses, je les ai vues le week-end dernier au village féministe à La Grave.
- C'est pour dénoncer les feminicides !
- Ha, ouais !!!
Je les regardais de ma fenêtre. Un agent sécurité qui controlait les voitures stationnées s'est approché d'eux et ils se sont tous mis à discuter des Colleuses, comme de vieilles copines du quartier. Les larmes me sont montées, j'étais heureuse de les entendre chahuter devant le mur. Je les ai salués de la main. Le soleil s'était levé.
J'ai ouvert les volets à 7h15 ce matin. Ils étaient 2 hommes en train de nettoyer le mur au Karcher. Il pleuvait, le vent s'était posé. Mes volets ont fait du bruit, ils se sont retournés. J'ai refermé la fenêtre et j'ai pensé que la durée de vie d'un cri de Colleuses de mon quartier était de 24 h.
 
Mon coeur s'est serré, j'ai reculé, la nuit venait de retomber.
 

13fév. 2019

AINSI PASSE LE TEMPS

 

« - Je me sens engluée. Alors que je m’étais dit que j’oserais tout.
   - J’ai travaillé sur le métamorphique aujourd’hui. Tu me diras comment tu te sens dans quelques jours. »

Je ne me sens rien. Alors, je lui répète simplement et sans conviction cette phrase entendue à la radio ce matin : C’est un peu comme attendre que l’eau se mette à bouillir dans une casserole. J’essaye de rester concentrée sur les 800 kg de raisins que j'espère rentrer en septembre dans la cuve que je n'ai pas encore par manque d’argent. Aussi, quand je passe la frontière espagnole et que je vois tous ces camions et toutes ces filles garés au même endroit, je me surprends parfois à compter en nombres de pipes. Si on compte 30 balles la pipe, une cuve inox de 20 hl équivaudrait à 100 pipes ... Bon là, c'est vrai, ça me refroidit direct, en plus je suis pas hyper douée. Mais l'optique de pouvoir me saouler reste ma ligne de mire et si je compte bien, 800 kg devrait fournir 600 litres de vin, ce qui n'est pas une broutille.
Je pense quand même aller visiter mon ancienne directrice bientôt, j’en profiterai pour lui avouer que je ne connais pas bien les règles du poker : « J’ai oublié de te demander, c’est à quel moment qu’on se couche ? » Je dois être dans une mauvaise maison à mon horoscope et tout ça doit être dû à une mauvaise interprétation des signaux. Je me dis que ça va passer, et que bientôt, tout va rentrer dans l’ordre. Mon amie a raison, là, ce qu’il faut, c’est trouver un autre sujet.
J’ai finalement retrouvé mon ex-tuteur. Il est égal à lui-même, à part que maintenant, il boit des chocolats chauds à l’heure de l’apéro. Nous nous sommes assis et il a lu en silence un texte que je lui tendais. Il m’a regardé, rapidement et il a dit en regardant dehors : « Des textes pareils ne peuvent germer que dans le cœur d’une adorable personne. » Cela m’a un peu secoué mais il a feint de ne pas le voir. Puis, il m’a regardé, à nouveau et il a cité Mylène Farmer, mais là je n’ai pas retenu.

Alors, je lui ai répondu : « Ne vous inquiétez pas, Monsieur, je fais toujours ces dessins un peu raide dans les angles. » Puis, j’ai glissé dans son carnet un texte écrit pour lui, je me suis levée et je suis partie.

 

06sept. 1999

DEPUIS PEU, TOUT VA MIEUX

 

Voilà deux jours, je suis tombée amoureuse d’un garçon que je ne reverrai jamais. Dès le matin, nous avons parlé :

- Tu sais je crois que je vais me couper les cheveux.
  - Ha, bon ! Pourtant les cheveux c’est comme les asperges, le plus beau, c’est le bout ”.

Depuis, j’ai aménagé dans un nouvel appartement avec mon amie qui n’aime pas l’autobiographie. C’est un appartement très chouet dans lequel il est impossible de dormir. Mais l’ascenseur arrive dans la salle de bains et c’est déjà ça. C’est ce que je dis à ma mère qui stresse un peu depuis que l’école des Beaux-arts veut m’envoyer le service contentieux et qu’un garçon qui ne connaît pas encore ma nouvelle adresse m’envoie chez elle des lettres incompréhensibles. Je lui ai envoyé une carte postale très bien de la collection : “ couleurs et lumières ”. C’est une photographie de la cité d’Empalot avec en premier plan deux terrains de handball très beaux.
Je passe mes journées sur mon ordinateur à essayer de configurer des logiciels et à envoyer des lettres d’insultes à des sortes de messagers qui me répètent sans cesse : “ You don’t have a DNS entry, please check the servername and try again ”. Si j’avais su que ce garçon était aussi sensible, je ne lui aurais pas envoyé cette carte. Evidemment. Cela me fait penser à un autre ami qui aurait tant aimé que l’on se rencontre dans une prochaine vie. Mais on fait ce qu’on peut, c’est ce que je dis à mes amis qui me demandent ce que je fais de mes journées. Et c’est déjà ça. Grâce à ce nouvel appartement, nous avons un nouveau voisin qui prépare un mémoire sur “ l’homme sans qualités ”de Robert Musil, il va beaucoup mieux puisqu’il vient d’acheter des anches pour son saxophone.
C’est en buvant des bières dans un bar que j’ai rencontré mon ex-tuteur. Dès que nous nous sommes vus, nous avons parlé :

- En fait, tu mènes ton monde par le bout du nez.
- Oui, en quelque sorte ”.

10mar. 1999

POUR LE MOMENT JE N’AI PAS LE TEMPS

 

J’ai la cuisine à balayer. Ma chambre à ordonner. L’agence immobilière doit arriver pour à nouveau faire visiter. L’interphone sonne :
« Heu... Melle Herpé ? » Je pense à mon colocataire : « Regarde, si jamais un jour tu deviens célèbre, tout le monde te connaîtra sous le nom de Melle Herpé, tu ne trouves pas cela terrible. » Pour le moment, je n’ai pas le temps. L’agence vient de me rappeler : « Melle Herpé ? J’ai deux garçons là avec des dossiers de l’ENSEEITH sous le bras. Vous savez, on peut toujours changer l’annonce et trouver deux nouveaux garçons pour remplacer les deux vôtres qui partent, vous en pensez quoi ? » Pour le moment, je n’ai pas le temps. Il faudrait que je trouve un nom pour notre nouvelle association : « Une expression comme nom ? Comme par exemple : Comme on fait son lit on se couche ? » Pour le moment, je n’ai pas le temps. Mon amie m’a fait lire le dernier texte qu’elle a écrit : Je n’aime pas l’autobiographie. Elle pense que nous devrions plutôt partir nous faire connaître dans le Jura : « Regarde, ici tout le monde nous déteste. On n’arrivera à rien. Il faut changer de région. Le Jura, ça te dit pas ? » Pour le moment, je n’ai pas le temps. Ce qu’il faut, c’est me réconcilier avec tous les gens avec qui j’ai été sinistre : « Si tu ne m’avais pas dit que tu rentrais à la maison une fois ton demi terminé, je n’aurai pas... »
L’interphone sonne :
« Melle Herpé ? » Tiens ma plante verte est en train de crever. Pour le moment, je n’ai pas le temps. La cuisine à balayer, la chambre à ordonner. « Bonjour » Ma mère a sans doute raison, là ce qu’il faut, c’est se reposer. La visite est presque terminée. La charmante dame de l’agence se décide finalement à causer :
« - Ne faites pas attention au désordre, ils déménagent. Il faut l’imaginer rangé.
- Oui, évidemment, moi aussi le matin, quand je me lève, je l’imagine rangé et c’est vrai c’est pas mal.
- Vous êtes câblé ? »

Pour le moment, je n’ai pas le temps. Ma mère a raison, je crois que je vais partir me réconcilier avec tous mes amis qui sont dans le Jura et j’en profiterai pour me reposer là-bas.